INTRODUCTION
Dans les années soixante, alors que la pratique des sports d'hiver commence à se répandre, la France se lance dans une politique de mise en valeur touristique de ses montagnes, qui offrent d'énormes potentialités.
La création en 1964 du Service d'Etude et d'Aménagement Touristique de la Montagne (SEATM) consacre l'avènement du "Plan Neige" qui va permettre dans les Alpes du Nord, la mise en chantier des stations "intégrées", dites également de "troisième génération". Cette politique de planification est concomitante de la mise en valeur des littoraux notamment celui du Languedoc et c'est plus globalement l'âge d'or de la politique d'aménagement du territoire en France, au coeur des « Trente Glorieuses », tout juste un an après, l'instauration de la DATAR.
C'est dans ce contexte où l'aménagement de la montagne devient l'un des grands enjeux du développement économique national, que Flaine voit le jour en 1968.
Tandis que les stations de la première génération (ou génération spontanée), comme Megève ou La Clusaz ont vu l'apparition des remontées mécaniques autour d'un village déjà existant, les stations de la seconde et de la troisième génération, sont des créations ex- nihilo, à partir d’espaces vierges.
La troisième génération prend le relais d'un ensemble de stations dont Courchevel, Chamrousse et l'Alpe d'Huez sont des exemples types, et qui victimes de leur succès ont connu à des degrés divers, des phénomènes d'emballements spéculatifs et des développements urbanistiques anarchiques et désordonnés.
Le défi qui est donc à l'époque lancé à cette troisième génération de stations de sport d'hiver est de réaliser des projets "intégrés", cohérents, avec une volonté de maîtrise qui va de l'architecture au fonctionnement global, en passant par le financement, la conception et la réalisation. Les stations de Flaine, d'Avoriaz ou des Arcs, sont donc fortement marquées par les notions de "maîtrise" et de "vision globale". La recherche d'unité et d'esthétisme est au coeur du renouveau, l'idée même de modernité est clairement revendiquée et affichée.
La spécificité et la singularité de Flaine reposent pour beaucoup sur la personnalité de son commanditaire: Eric Boissonnas, et sur le talent et l'avant-gardisme de son maître d'oeuvre: Marcel Breuer.
Flaine se veut dès l'origine, un prototype d'urbanisme, d'architecture et de design voué autant à la pratique des sports d'hiver qu'à l'exaltation de l'art et de la culture.
Le choix du béton brut est un écho à la minéralité grandiose du site naturel, un parti pris artistique qui d'emblée marque une rupture avec les représentations traditionnelles. L'imagerie populaire de la montagne est souvent à mille lieux des théories et des pratiques du Bauhaus et beaucoup ne verront hélas qu'une architecture brutale et froide, et resteront hermétiques à l'harmonie qui se dégage pourtant entre les façades et les éperons rocheux. La reconnaissance culturelle du site est cependant au rendez-vous, dès 1992, lorsque certains bâtiments sont classés à l'inventaire du patrimoine historique.
Flaine reste en ce sens, une illustration assez symptomatique de l'incompréhension qui sépare souvent au vingtième siècle, les grandes oeuvres de l'architecture contemporaine et leur public.
Alors qu'un des objectifs de départ était de permettre la rencontre entre les loisirs et la culture, la culture à Flaine est souvent devenue au fil des ans un alibi touristique plus ou moins assumé qui peine à trouver sa place au milieu de pressions multiples, financières et spéculatives : nécessité de densifier l'habitat, difficultés d'entretien des bâtiments qui se dégradent, nouvelles attentes des touristes en termes d'infrastructures...
Malgré ces difficultés, l'esprit novateur du site et sa vocation culturelle demeurent vivants à travers le centre culturel dirigé par Gilbert Coquart, qui propose un espace d'exposition et une bibliothèque de prêt, mais aussi par des visites guidées, des conférences, l'organisation d'un festival de musique classique au sein de l'auditorium.
Mais si l'ambition culturelle de Flaine est maintenue à flots par quelques passionnés, elle n'en est malheureusement plus tout à fait la colonne vertébrale. Le centre culturel apparaît trop petit, et manque de visibilité au sein du bâti, quant aux activités et aux pratiques qu'il propose, elles ne paraissent plus à l'échelle d'une fréquentation devenue pléthorique. Tandis que la capacité d'accueil de la station a doublé, l'offre culturelle n'a fait que se maintenir. Il semble devenu aujourd'hui impératif de redimensionner cette offre en termes de pratiques d'une part, en termes de surfaces bâties et de centralité d'autre part.
La problématique qui se pose aujourd'hui à Flaine pourrait se résumer de la manière suivante : proposer un renouveau en redonnant une place majeure à la vocation culturelle du site, en même temps qu'une alternative solide au mythe quelque peu artificiel de la "station-village" de la quatrième génération, ou succomber aux tendances du marché touristique quitte à y perdre un peu de son âme ?
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